Présente à Alger de 90 à 95, j'ai connu plusieurs de ces personnes, ainsi que d'autres  algériens assassinés en ces temps de violence. Le Père Deckers, dit Charly, était un ami depuis son séjour au Yémen, à Hodeidah, ou je le rejoignais souvent, étant moi-même infirmière dans la région, pour passer un dimanche et assister à la messe. Il nous offrait alors l'hospitalité, à mon petit de 2 ans et moi-même. Je n'ai pas idée de ce qu'une béatification ou canonisation peut apporter: en la compagnie de Charles, on avait la certitude d'être sous le regard aimant de Dieu, et cela bien que lui-même donne l'impression d'une grande solitude, d'une tristesse infinie. L'espérance qu'il portait, avec la douceur et la confiance d'un enfant, était lucide, celle d'un père qui souffre avec ses enfants perdus, souffrants, libres, qui les attend d'un amour infini.  Il était très simple, humble, plein d'attention. J'ai appris, lors d'une rencontre à Paris, plus tard, que la seule famille yéménite chrétienne convertie qu'il accompagnait à Hodeidah, avait péri entièrement dans un accident de voiture. Charles, extrêmement sensible, en était très troublé.  Il m'avait aussi raconté son premier séjour en Algérie, dont il avait pris la nationalité, mais dont il avait été exilé pour avoir pris trop d'initiatives en faveur de la liberté et de l'épanouissement des filles, jusqu'à être tuteur, ce qui est rapporté dans un témoignage ici. La dernière fois que je l'ai vu, peu avant son assassinat, il était venu partager sa peur. Il pensait être tué dans son église, ou à sa porte, et venait chercher le réconfort d'une amitié filiale, mais peut-être encore plus, le réconfort du partage d'un avenir en Dieu, pour ses enfants. Je ne le lui ai pas donné, j'ai parlé politique.
Il est mort alors qu'il arrivait pour fêter avec ses frères son anniversaire, victime comme eux d'une machiavélique  machination qui avait tout à voir avec un détournement d'avion et rien avec la population de Tizi Ouzou, qui a manifesté son soutien lors de leurs funérailles.
Ce n'était pas un héros.  Pour moi, Charles est un modèle de prêtre, pour peu que cela ait un sens: un enfant de Dieu, enfant, et homme parmi les hommes, les portant de sa prière, de sa vie sacramentelle, partageant avec eux les faiblesses de l'angoisse et de la peur, parfois de la dépression, mais aussi et surtout la tendresse et la pauvreté de Dieu qu'il incarnait absolument. Bénis nous encore, Charles, mon père, et tes frères d'Algérie, et du Yémen, que tu aimais tant.